Journal d'une ménagère zébrée

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samedi, octobre 28 2023

Tendre main

Par une route caillouteuse je me suis rendue au fond de la campagne, dans une petite maison sans âge. Pour un rendez-vous à la fois si singulier et régulier, tellement il été souvent réitéré. Passés la porte en bois et les murs en pierre, je me suis élevée de quelques marches, puis je suis entrée dans la pièce tout au bout. Au fond dans la pénombre, une masse incertaine faite d’étoffes empilées semble m’attendre, tel un improbable animal assoupi. Le silence tout autour en attente aussi, objets et meubles comme consentants.

Alors j’ai guetté le vivant qui se cache quelque part sous le lourd édredon, que j’ai doucement écarté comme une vaste tenture qui reposerait à l’horizontal. Douce et chaude, comme la frêle main qui s’est laissée cueillir par la mienne. Une fleur de chair aux cinq long pétales qui se déploient parallèlement. Si fragile de finesse ! une peau soyeuse et fripée, comme si elle venait de naître. Toute en retenue et tendue encore vers l’en-dehors, l’épiderme aux aguets. La vie qui s’étonne encore et me questionne par-là même : palpiter vers l’avant ou l’arrière du temps, pour quel devenir ?

Sous la peau ténue et presque translucide, les tendons apparaissent. Tendus comme des cordes juvéniles de cette innocence joueuse de l’enfant, tourné vers l’essentiel. Et le sang, discrètement afflue à son rythme ralenti, en un réseau si sombre de veines apparentes. Rouge foncé comme les mailles d’un manteau pourpre qui cacherait en secret tout un vécu. Une vie pleine ayant côtoyé tant d’évènements et de rencontres, de peines et de joies. Tout cela à présent comme dessiné en filigrane sur cette main si ratatinée qui repose dans la mienne.

La grande vieillesse rejoint l’enfance, au point de s’y confondre. Comme si la boucle se bouclait et que tout pouvait advenir de nouveau. Mais dans la plénitude d’une sagesse accomplie, qui a fait le tour d’elle-même à travers l’altérité. Car cette main s’est ouverte à tant d’autres dans le besoin, elle est celle d’une personne qui s’est matériellement et spirituellement dévouée à ses semblables, une personne que l’on ne peut approcher qu’avec déférence.

Alors, main dans la main c’est comme un voyage qui s’amorce. Au bord d’une vie proche de sa fin qui serait comme un commencement. Je suis entrée dans cet espace intemporel où les identités s’effacent et les histoires aussi. Dans la proximité la plus intime, l’universelle humanité de l’autre se révèle et comme un miroir me renvoie à ma propre universalité. Penchée sur ce berceau d’humanité, à présent me voilà sans gène ni crainte prête à prodiguer les soins d’hygiène et de confort pour lesquels je suis venue, en tant qu’auxiliaire de vie.

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vendredi, mai 26 2023

Un petit monde clos

Je m’en allais par un chemin ensoleillé, à un détour inattendu de la route je vous ai vus. Comme réunis en un rassemblement insolite, chacun de stature et d’orientation différentes, aucun n’étant tourné vers le même horizon. Et pourtant, ensemble sur une même longueur d’onde vous dodeliniez de la tête, doucement au rythme du vent. Entre vous, en spécimens uniques d’une même espèce.

Un petit monde clos, qui vit sa propre mélodie à guichet fermé. Un équilibre parfait ou personne ne manque et rien n’est de trop. Un univers en miniature qui en réalité ne se donne pas à voir, mais se contente d’être, simplement. C’est moi qui suis de trop. Ma présence et même ma contemplation, immiscée en intruse. Non conviée je ne suis pas désignée ni même désignable, devant ce paradis à taille réduite, qui n’admet aucun regard, aucun mot.

Ce n’est même plus une rencontre, juste le tableau abstrait d’un instant fugace et hermétique. Alors il ne me reste plus qu’à m’effacer, jusqu’à disparaître. De la contemplation jusqu’à ma propre pensée. Pour simplement laisser être, ce qui n’a nullement besoin d’assentiment humain. L’humain est déjà ailleurs, relégué loin là-bas où il n’y a, où ce n’est pas. Un monde tout aussi hermétique, mais fait de violence, à la fois de trop plein et de négatif.

Ne pas prendre ce qui n’a de toute façon plus prise. La vie cachée dans les recoins d’une nature repliée sur elle-même, comme un livre qui aurait été trop lu. Une œuvre consommée à l’excès et consumée. Ne reste plus que de petits îlots de vie sauvage rendue à elle-même, à sa propre herméneutique. Ce petit monde clos étrange de beauté, je m’en retourne et le laisse derrière moi. Comme un album à la fois vivant et périmé, se refermer tout doucement de lui même. Sans moi. Sans vous. Sans nous...

Pissenlit

jeudi, septembre 5 2019

D’usure et d’hommage

Je t’ai trouvé dans un coin de la maison, loin de son agitation quotidienne. Dans une pièce à la fois ingrate et vitale, la buanderie. Posé tel quel sur le dossier d’une chaise, on t’a remisé semble-t-il dans la catégorie des objets en attente indéfinie. Tu ne ressembles plus à grand-chose, il faut se pencher au plus près pour tenter de deviner ce que tu es, ou plutôt étais.

Car la première chose qui interpelle au-delà de ton aspect informe, c’est ton indéfectible usure. Tu es une chose usée et visiblement utilisée encore, mais avec plus guère ménagement. A resservir encore et encore indéfiniment, jusqu’à la trame. Et c’est cela justement, qui saute aux yeux. Ton apparence principale. Tu est devenue une trame dont on ne sait plus bien de quoi, tellement on s’est servi de toi.

Un paquet de trames à vrai dire, qui tiennent ensemble encore par on ne sait quel miracle. Et chaque trame, un ensemble de fibres qui semblent à la fois tellement fragiles, et fortes en même temps à tenir ensemble. Mais il n’y a pas que cela : Ta matière même semble trouée d’oubli, le vide dans lequel le temps t’a remisé petit à petit. Tu es presque transparent. Toujours présent, mais plus vraiment là.

Et c’est cela qui frappe le plus : toute ta présence rayonne justement de ton absence presque organique. C’est elle plus que la matière, qui traduit combien tu as pu être utilisé et donc utile. La moitié de toi qui semble si peu glorieusement disparue, constitue une majestueuse mémoire. De ce que tu fus, de ton histoire, parmi les êtres vivants. Combien de choses as-tu pu voir, être témoin de tellement d’histoires humaines !

De belles et moins belles, des déchirements que toi tu restitues justement par ta ténacité à rester toujours uni en ta matière, comme d’un seul bloc. Malgré toutes tes fibres et particules qui semblent s’évaporer, s’envoler presque dans l’air ambiant en une fine poussière. On ne la voit pas, oh non ! sinon bien sûr on s’en inquiéterait. On trouverait cela indigne, sale, et cela te condamnerait d’emblée. Non toi tu résistes, fièrement et fidèlement si j’ose dire. Tu tiens bon, on ne saurait pourquoi.

Si ce n’est peut-être pour ce message si infime, qui semble s’être mis à ma portée. Tu es une chose usuelle tellement insignifiante, qu’on en a oublié pourtant l’ensemble de petits miracles, humains et non humains qui t’ont permis d’être là. Ici et maintenant. A pouvoir passivement et silencieusement témoigner. Et n’est-ce pas tellement à nôtre image, tout cela ? Un ensemble de petits miracles non retraçables qui ont permis à chacun d’être vivant. Dans l’ici et maintenant de sa propre vie.

D’une certaine manière tu nous rend hommage par ta bravoure, ta loyauté. Alors c’est pour cela qu’à ma façon, également je te rends hommage. Tu continueras peut-être pendant un certain temps à être un peu plus usé encore jusqu’à ta pauvre trame, si décatie déjà ! Et puis un beau jour sans raison, tu seras définitivement rangé - que dis-je… jeté dans la catégorie des objets terminés. On n’aura plus besoin de toi et tu seras éliminé, d’une manière ou d’une autre.

Mais toute cette partie de toi qui s’est petit à petit mise à disparaître, au fur et à mesure de ta si modeste existence : Elle continue d’exister quelque part, et rayonne la noblesse de son utilisation par des êtres conscients. Dans le royaume de la mémoire - celui de l’esprit ? où tout a existé et continue d’exister. Ainsi, ta misérable petite vie d’objet plus que secondaire voire même trivial, n’aura pas été en vain. De tout ce qui a été vivant et vécu jusqu’à l’usure, reste quelque part une trace dans la trame de l’éternité.

Usure

vendredi, avril 12 2019

Clicliclic... bzzz

Il y a la lumière. Et puis on est attiré(e) par ce qui brille, et semble bouger de l'autre côté. Alors on se dit : j'aimerais tellement y aller, atteindre ce qui a l'air si beau, si vivant ! et qui fait tant envie...

Alors nous restons là, à passer du temps à chercher le meilleur moyen : le passage - qui serait unique - pour y arriver. Il n'y a pas d'aspérités. C'est lisse, il fait chaud aussi. On y est plutôt pas mal, et on peut se déplacer comme on veut, quand on veut ... On est libre, en somme ! de faire ce que l'on voudrait, aller autre-part...

Mais non. C'est ici et pas ailleurs que ça se passe... même si finalement à force de chercher, on ne peut que se rendre compte qu'il n'y pas de passage ! Pas une seule sortie, qui serait comme une porte d'entrée. Vers un ailleurs meilleur, où il y aurait du vent, de jolies fleurs, l'Amour... Pas de doute : nous sommes bien comme des mouches collées à la vitre...

Manthe

mardi, décembre 1 1998

Corps à corps

Un corps était entré dans sa vie. Un corps invisible fait de chair d’ennui et de désir. Elle ne savait pas ce qu’elle allait en faire. Un corps s’imposait entre elle et le réel, avec son espace étrange d’attente et de vie. Un corps si grand et si petit qu’elle ne savait jamais où il était exactement, ni où elle en était elle-même. Comme un second corps, un double, qui jouait avec les mots et le temps. Tantôt très proche, tantôt absent. Tantôt en elle, tantôt autour d’elle, comme une porte, un passage qu’il fallait comprendre, accepter, intégrer pour aller vers autre chose, pour avancer. Ce corps, c’était le sien et en même temps celui d’un autre. Le corps dans sa totalité, entre l’intérieur et l’extérieur, entre présence et absence, entre chair et essence. Le corps d’un être accompli qui n’était pas elle-même ni quelqu’un d’autre, mais elle en devenir à travers l’autre…A travers le temps, ce corps passait revenait et s’en allait comme un messager secret pour la guider.
Tout cela était né des mots. Les mots avaient eu le pouvoir de créer un corps, un corps parfait sans matière évanescente. Un corps fait de désir et d’absence, une nouvelle façon d’être. Il fallait comprendre pour ne pas se perdre. Tout se joue au centre du langage qui s’est dépassé lui-même. Au centre du langage se trouve l’Etre. L’Etre l’avait traversé. Elle l’avait rencontré. Et elle allait le suivre. Par le seul regard des mots. Elle allait plonger dans l’univers abstrait pour prendre corps véritablement. Un autre corps, une seconde peau, spirituelle, flexible. La rencontre de l’esprit et de la matière. Sa propre matière avait rencontré l’esprit autre. Son propre esprit pouvait matérialiser un autre corps, il pouvait remonter le courant des sens pour trouver ce qu’il y a derrière, pour rencontrer un autre corps, une infinité d’autres corps. Au-delà des sens tous les corps se rencontrent…

vendredi, décembre 1 1995

A table !

J’aimerais être mangée par les mots, avalée sans assaisonnement, dévorée crue instantanément…
Je serais d’abord repérée par les grands textes dominants, je serais comme ciblée par ces monuments impressionnants, hauts placés, de toute beauté et rayonnants. Et de longues phrases se rapprocheraient, comme éveillées par la curiosité, elles se déplaceraient lentement en sifflant légèrement. Minces filaments dorés étirés infiniment qui émettent un bruissement discret provenant de l’entrechoquement de leurs fines et infimes lettres, qui constituent leur puissante et rebelle matière. Elles m’entoureraient et alors déjà je serais encerclée, je ne pourrais pas m’échapper. Je serais enfermée dans ce rempart superbe et glacé aux mille pierres brillantes et dansantes, infatigables, indélogeables et toujours trépignantes, cliquetantes.

Puis l’édifice magique se resserrerait, se simplifierait aussi, dans un rythme soutenu, élégant et pathétique. Et poétique. Alors je commencerais à sentir les nombreuses aiguilles palpitantes et électriques, au contact de ma chair qui se mettrait à frémir. Aiguilles acérées, vives et métalliques : les dents étincelantes en appétit. Les phrases se détacheraient en un mouvement souple, allègre, sans résistance ni déchirement. Simplement elles se sépareraient régulièrement, tout en conservant leur unité intègre. Alors les mots apparaîtraient et s’aligneraient, en me regardant. Je serais face à eux dans un dernier instant. Je pourrais les contempler, un à un patiemment, je savourerais leur profonde noblesse, leur entière beauté, j’aurais ce privilège.

Et eux poseraient sur moi tous leurs petits yeux arrêtés, ils me feraient voir une lueur étrange, une lueur étrange et fascinée, celle de leur cœur affamé. Il y aurait un instant de silence, un silence solennel et pesant, la minute sacrée où se résume l’existence, moment intense où s’accomplirait enfin un échange véritable, le face à face déroutant de deux mondes différents. Puis sonnerait l’heure de ma fin, de la fin de mon destin et l’œuvre de leur faim. Sans empressement, ils se laisseraient descendre sur moi, ils tomberaient goulûment comme une pluie lente et acide. Je serais déchiquetée.

Ils m’envelopperaient entièrement de leurs mandibules affairées, chacun s’en prendrait à un morceau de ma tendre chair. Ainsi je disparaîtrais. Et comme il y a autant de mots que de particules, chaque particule de mon être serait mangée par un mot. De la plus petite à la plus grande, je serais complètement dévorée. Et puis ce n’est pas fini. Car je serais aussi digérée, alors chaque atome, lentement, progressivement, se transformerait. Il passerait tout doucement dans l’intestin en papier glacé du mot qui serait rassasié. Il se transformerait puis ressortirait sous une autre forme, dans une autre vie peut-être. Il deviendrait un mot ou une lettre, qui sait ?

Et moi, petit à petit je renaîtrais, invisible, différente, mais vivante. Je serais moi aussi un mot. Un mot constitué d’autres mots. Et de lettres, plein de lettres. Et je ferais partie de leur univers. Je vivrais dans la paix, le bonheur simple de la paix. Je serais un nom, rien qu’un nom, et cela, je m’en contenterais. Cela, j’aimerais…j’aimerais être mangée par les mots.

vendredi, décembre 31 1993

Sacrifice

Il est tard. L'heure, fatiguée de sa journée est partie se coucher. Je n'ai plus de ses nouvelles. Les mouvements sont en silence, ils ont éteint leur lumière. Seule subsiste et me tient compagnie la pluie. Elle frappe continuellement à la fenêtre, voudrait bien rentrer, mais je la préfère dehors. Alors je me suis tournée vers la grande porte froide un peu bruyante et puis je l'ai ouverte.

Là, j'ai scruté de mon regard perçant, réfléchissant à qui j'allais m'en prendre. Toi. Petite chose sans défense parmi tant d'autres. Toi. Je t'ai choisi. Je ne t'ai pas laissé le temps de te faire indifférent. Tu étais condamné, tu devais le savoir, c'est ton destin. Alors je me suis saisie de toi, et je t'ai préparé. Crois-moi, je l'ai fait avec tout le respect qui te revient. Car je te considère, comme tu es.

Puis, je t'ai emmené. Face à moi. Je t'ai installé dignement. Je t'ai regardé. Et, en l'espace d'un songe, je me suis attaquée à toi, à ton être. Armée de mon instrument, j'ai touché ta peau si blanche si fragile. Lentement j'ai commencé à la découper et à la faire disparaître à ma façon, personnelle, insolite, tellement expéditive. Tu t'es mis à disparaître, petit à petit. Aussi je me suis permise de me pencher sur toi et, de mon imposante hauteur, m'approprier gratuitement pour réduire à néant ton intimité, ton existence, ta raison d'être qui n'est déjà plus. Il ne reste pas grand chose de toi.

Mais j'en arrive maintenant à la partie délicate. Peut-être la plus secrète pour toi, la plus intime. J'ai atteint ce qui peut être ton cœur. Son enveloppe est si fine, éphémère, vouée d'emblée à sa propre destruction. La couleur est vive, très vive. C'est plus qu'un cœur, c'est un soleil, éclatant, qui invite au réjouissement. La rondeur en fait un petit monde harmonieux, presque vivant. J'ai tranché. Il s'est vidé de sa substance qui s'est alors répandue tout autour. Devenu disgracieux, il avait comme un air de ne pas comprendre. Je me suis doucement empressée d'aller recueillir, à l'aide d'un petit bout d'objet mou tout aussi éphémère, l'onctueux liquide qui n'en finissait plus de s'étaler, comme pour fuir désespérément son triste sort. Il a fini de la même façon que son pâle congénère. J'ai décidé d'achever dans la même foulée l'autre moitié restante, désemparée, afin de ne pas trop laisser durer son déshonneur, son aspect impudique.

Ainsi en est-il fait de toi, triste chose sans grande importance. Là où je t'ai placé, tu n'es plus. Il reste à peine les traces de ton passage. Tu ne fais plus partie du monde des choses existantes. C'est moi qui t'ai fait disparaître. Je ne te dirai pas où tu peux te trouver maintenant. Matériellement, cela n'a pas d'importance. Je peux te dire seulement que d'une certaine façon, tu es en moi. Il reste une dernière trace de ton existence, un soupir : La pensée que j'ai eue à ton égard. Et je te dis merci.

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mercredi, décembre 8 1993

Mots-cri

J’écris non plus pour dire, affirmer ou faire joli simplement, j’écris par survie, j’écris pour vivre, pour tenter d’être. Etre et vivre, est-ce la même chose ? Ecrire dans la souffrance, mais écrire pour tenter de vivre. Ecrire dans la double souffrance d’oser dire pour oser vivre pour mourir aussitôt dans le seul et unique instant si bref, si intense, si long de la plume qui respire qui se pose, se penche et se tait immédiatement, qui se soulève, sourit, rit, presque et s’étend de tout son sang, de toute son encre en une longue interminable et blanche agonie.
Pour répandre sa bavure de sentiments de châtiments de silence dans le silence de la page blanche, noire, ambiguë insaisissable et en suspens, éternellement, toujours en suspens en attente de la tache, de la gaffe monumentale irrémédiable compromettante. Alors, enfin, l’esprit se bat, se débat s’acharne se tend, attend, puis se détend, se rend, se répand rampe lentement, lamentable, pitoyable innocent, enfin et sans défense et sans offense pour le reste, l’apparence, les dires les rires et la défiance…
Ultime soupir, sourire dans le temps, entre-temps entre parenthèse, inexistant espace, hélas, triste car invisible indéfini, imprécis, imprévisible. Petit morceau de temps, de sueur, pudique, indécis, jamais livré à l’extravagance de la vie volubile ludique et versatile inversée retournée blessée contrariée comme un gant abîmé et oublié …
Tout cela pour dire, enfin ou ne pas dire, ce qui est ou ce qui n’est pas, ce qui ne peut être tout en voulant être. Voilà d’ailleurs à quoi servent les mots, eux-mêmes qui sont ou ne sont pas précis ou imprécis, vague lueur dans la vague imprécise de la vie de la ville du rythme. Avancer pour retomber pour avancer pour retomber, en haut, en bas, en haut, encore en bas, toujours trop ou pas assez, encore trop, jamais assez, assez, de vitesse, de justesse, de mouvement qui brille qui vibre éclatant de beauté, d’harmonie, d’équilibre.
La mort ! La mort ! Jamais assez pour dire ce qu’elle est, jamais assez pour montrer ce qu’elle est capable de faire, de dire ou de taire … alors encore, toujours les mots sordides ou trop beaux, trop vides ou trop gros, trop pleins ou trop verts. Peut-être trop tôt pour apparaître, transparaître, en escaliers, évasés ou savamment disposés, sous les marches ou dessus les marches pour accrocher et faire exploser. Bain de sang, d’ivresse ou de gaîté : les mots.
Une pointe de beauté, un paysage à regarder, un voyage à démarrer. A chaque instant l’irrégularité : une pointe de finesse qui fait dévier la linéarité, le plan calculé, le programme préparé, l’univers achalandé, l’espace raréfié, les objets démystifiés. Les mots. Les mots à la place des objets, les mots à la place des points arrêtés, des atomes figés. Les mots pour créer une dynamique diversifiée, un ordre passionné, une guerre pacifiée, un esprit incarné …

dimanche, décembre 5 1993

Départ

Je suis partie de l’autre côté de mon rêve pour tenter d’être l’autre. L’autre présent en moi qui est moi et pas moi en même temps, difficile de savoir…
Je suis partie emportant la coupe pleine de ma propre vie.
Je suis partie l’offrir au-delà. Offrir mes peines, ma joie ma souffrance de ne pas savoir. Tendre sans savoir vers quoi, pourquoi, pour qui…offrir, mourir au-delà de moi pour donner justice, justifier ma propre vie.
Je suis partie mourir un peu quelque part, par-ci, par-là…semer l’énergie qui ne sait pas pourquoi elle vit. L’offrir à l’inconnu en espérant qu’il existe. Et qu’il me le redevra.
Je suis partie embrasser le vide, l’aimer le plus possible, le chérir afin de lui donner corps, âme, vie. A défaut d’un corps, d’une âme, d’une vie qui se sent vide, vide de sens.
Je suis partie, pourrir un peu ma vie trop neuve, trop ignorante. Je suis allée l’écorcher, la faire vivre, la faire rire aussi à l’écueil des différents mondes. J’ai voyagé. J’ai laissé un peu de moi ici et là.
Je suis morte un peu entre les pages. Une trace à chaque fois. Quelque chose qui n’existe plus maintenant pour moi, mais quelque part. Une trace d’éternité. Pas pour moi. Pour que vive ce qui vit. Ailleurs, moi ou quelqu’un d’autre. Quelle importance…
A travers le regard brille une reconnaissance. Une mémoire vaguement consciente à travers la trame de la chair. La chair d’existence de chaque un. Le plus possible je porte chacun en moi. Moi et pas moi. Quelque chose qui déporte, transporte à une autre place, à un autre niveau. Un niveau où rien ne s’égare. Où rien ne s’enlève.
Trêve réelle entre les pages de rêves qui se tournent. Rêves multiples d’êtres en quête ou en querelle. Pourquoi arracher les pages ? L’histoire serait incomplète. Pages qui se renvoient les unes aux autres, qui se croisent qui se cherchent ou se toisent. Livre fouillis de la vie sans fin ni commencement. Sans achèvement.
Mais la fin d’un être est le commencement d’un autre. La fin d’un rêve est le commencement d’un autre. Le chagrin et puis le soleil. La perte et puis le retour à l’intemporel où tout se réunit à nouveau...

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samedi, janvier 2 1993

La nuit

J’aime la nuit.
J’aime la nuit parce qu’elle me permet d’être libre.
Elle me permet tout doucement, discrètement,
Pendant qu’il dort et fait l’innocent,
D’enlacer le monde de mes bras pensants.
Elle me permet de lui parler amicalement.
Et je m’adresse à lui comme à une maman
Je lui livre mes plus grands secrets
Lui fait part de mes brûlants désirs.
Et il devient compagnon tendre dans la nuit
Se met à la place du sinistre vide
Et comble les plus forts ennuis
En racontant l’histoire,
Celle dont on ne se lasse jamais
Celle à chaque fois nouvelle,
L’histoire de sa vie.
Alors, dans la nuit je me sens revivre
Pleine d’une assurance qui, le jour s’oublie,
Je m’élève face à l’étrange compagnon
Et, forte de mes idées rebelles de mes idées de vie,
J’entre dans son infernale ronde,
Me trouvant enfin sur un terrain d’égalité
J’ose l’audace merveilleuse d’un échange passionné…
J’aime la nuit.
J’aime la nuit parce qu’elle me permet d’être libre.
Elle me permet tout doucement, discrètement,
Pendant qu’il dort et fait l’innocent,
D’enlacer le monde de mes bras pensants.
Elle me permet de lui parler amicalement.
El je le berce comme un tout jeune enfant
Je lui livre mes plus grands secrets
Lui fait part de mes brûlants désirs.
Et il devient compagnon tendre dans la nuit
Je me mets à la place de son sinistre vide
Et comble ses plus forts ennuis
En racontant l’histoire,
Celle dont on ne se lasse jamais
Celle à chaque fois nouvelle,
L’histoire de sa vie qui est à venir.
J’aime la nuit parce qu’elle me permet d’être libre.
Elle me permet tout doucement, discrètement,
Pendant qu’il dort et fait l’innocent,
De refaire le monde …

lundi, décembre 14 1992

Bouh !

Boue bulle bile embolie ébullition abolition absolution le monde bombe ronde sonde tombe immonde féconde bondée un mal des mots émaux étaux attente intense immense image sage saut assaut amant allant élan lent insolent lancinant hallucinant lucide acide avide vide vue nu nul lune dune lutte étude prélude préface préfère efface fesse face feu fer fiel foule flou fou fauve fève fête fille fripe flic flaque bite bête blette blatte plate peine pleutre pitre poutre foutre feutre foot foudre moudre moule frite fric vrac froc troc croque-mort mère mur mire tire trie triche crie crache craque braque claque cloche cloque clown clou clé cul clip club pub pub tube top type tape touche bouche mouche moche miches mèche lèche lâche louche soupe choux chaud chat châle sel sale sous-sol seul sans goût dégoût debout sans but à bouts boue …

lundi, décembre 31 1990

Conscience

Que représente un être seul, seul face à lui-même, seul face à l’extérieur ? Où est la vie ? Elle ne se trouve ni en lui-même, ni à l’extérieur. Aucun appel, pas d’écho. Le temps reste en suspens, le mouvement se fige. Les points de repère reculent davantage, s’effacent petit à petit lâchement sans s’excuser. L’air ambiant n’est plus qu’un bouillon opaque, gluant, encombré d’objets fixes. A l’intérieur de soi s’établit un vide qui fait peur. Les yeux se brouillent, le ventre se tord, se noue et accouche d’une lucidité insolite, pointue, de plus en plus acide. Le silence se matérialise et devient une ombre envahissante, grimaçante, qui rampe et paralyse les bras, le visage, le thorax.

Et puis l’esprit s’y perd, il se perd, s’éloigne, s’en va ailleurs. L’extérieur ne le retient plus, il s’enfonce en lui-même. A quoi bon, rien à l’extérieur ne l’appelle. Il pénètre un monde non réel et pourtant existant, à la limite de la limite, illimité, où rien n’est établi, rien n’existe et tout y est possible, mentalement. Un monde d’images et d’impressions, l’envers du monde concret où il s’y fait ce qui n’est pas. C’est une échappatoire, où naissent puis éclatent comme des bulles les illusions qui ont été bannies du monde des concrets. Un congélateur immense dans lequel on jette les objets insolites, les aspirations non concrétisables. Parfois un beau musée où on se laisse entraîner. Souvent une morgue dont on cherchera désespérément la sortie. Monde fictif, d’images et de vibrations, attirant et dangereux. Peut-être celui des morts.

Ou alors c’est tout le contraire. Le monde des morts c’est celui dans lequel on vit concrètement. On est des moribonds. Le mal règne dans ce monde d’ici-bas. C’est une prison de l’être, un mouroir du cœur. Seuls survivent et vivent même, ceux qui ont les dents longues et le cœur vide. Ils accrochent l’âme du plus faible, du candide, lui enlèvent sa liberté, souillent sa beauté et puis pour finir, aspirent jusqu’à la dernière goutte si possible son énergie, si faible soit-elle déjà. C’est une véritable jungle, plus cruelle et sordide que la jungle elle-même. C’est le combat de la mort qu’on y mène. Comment ne pas se laisser entraîner par ce jeu pervers, démoniaque, résister à la bêtise et cruauté envahissantes ? Mettre à l’abri les faiblesses qui se font aussitôt manger, et protéger le peu d’espérance et de sentiments. Mais de toute façon, arrivé à ce stade, la vie se présente sous forme d’un dilemme. Dans un monde où règne le mal, on est condamné à la souffrance.

La souffrance et la honte de faire partie d’un tel monde, la souffrance d’en être victime et chercher à s’en échapper. Plus qu’une association d’individus qui seraient mauvais, c’est une entité. Telle une araignée, c’est une entité malsaine qui s’est installée en ce monde et y a tissé ses toiles, à notre insu, à l’insu de notre propre ignorance et notre bêtise. Au départ, c’est nous qui l’avons créée de toute pièce, sans que l’on s’en rende compte. Et maintenant, c’est elle qui nous crée, nous détient, nous manipule. Elle est solide et risque de durer un moment. On ne pourra pas agir en masse contre elle. Notre force, c’est l’individu, puisque elle-même est phénomène de masse. Individuellement.

Prendre conscience individuellement. Avant que ce soit conscience de quelque chose, que l’individu prenne conscience de l’individu. C’est à dire plutôt conscience de la conscience. Par là commencera seulement le détachement de cette entité douloureuse, destructrice et donc de la souffrance de cette vie qui n’en est pas une. La conscience de la conscience est simplement une attitude de recul. Un recul qui permet de voir et de comprendre beaucoup de choses. De développer un ressenti authentique à la recherche de la vérité de soi-même et celle de l’autre. Se mettre à exister réellement, pour soi et puis pour l’autre.

Dictature

Je suis avec les objets et les choses et je me dresse contre la tristesse du quotidien morose. Tristesse que l’on s’est faite, que l’on a tissée petit à petit sans vraiment bien s’en rendre compte, au fil des années. Chaque cœur ignorant y a mis du sien. Et ça s’est répandu progressivement. Maintenant elle flotte dans l’air, lourde, envahissante, comme un brouillard opaque et gluant. Et elle se déplace de par les rues et les cités. Elle guette, s’impose. Elle est devenue si forte et présente que maintenant c’est elle qui donne vie et dirige. Qui donne mort plutôt. Elle a pris les commandes du mouvement des vivants. Elle ordonne et gouverne. Impératrice du désordre dissimulé, du vide faussement comblé, de la violence à peine muselée. Dictature des cœurs arrachés, des regards égarés, des mains éparpillées, des corps mutilés. Marche incessante et enivrante des robots programmés dans la cité noire et fermée de l’enfer ainsi crée. Crissement insupportable et constant de la rutilante mécanique, séductrice, destructrice.

Les pieds titanesques de l’être d’acier aux yeux bleu-glacé et blasés écrasent la pauvre chair déjà oubliée, délaissée, de l’humanité éplorée. Ambiance nerveuse et électrique, annonciatrice d’une menace pesante qui gronde, gronde et s’avance petit à petit. Concentration et préparation de la gigantesque explosion de sang et de faiblesse, de remords et de détresse qui s’apprête à dévaster le monde. A emplir les cœurs vides, à noyer les âmes cupides. Universel combat à la violence extrême entre les immenses montagnes acides et avides des forteresses vides et le fleuve rouge du vivant en mouvement, bouillonnant de colère et d’amère revanche. Le hurlement convulsif et brûlant, sans repères, sans limites, de la confrontation de deux mondes, s’apprête à bouleverser, à déchirer le grand silence si lâche et omniprésent installé depuis tant d’années, pesant et arrogant, sur la tête de l’humanité innocente et acharnée qui ne pouvait, impuissante, arriver à le déloger.