Il est tard. L'heure, fatiguée de sa journée est partie se coucher. Je n'ai plus de ses nouvelles. Les mouvements sont en silence, ils ont éteint leur lumière. Seule subsiste et me tient compagnie la pluie. Elle frappe continuellement à la fenêtre, voudrait bien rentrer, mais je la préfère dehors. Alors je me suis tournée vers la grande porte froide un peu bruyante et puis je l'ai ouverte.

Là, j'ai scruté de mon regard perçant, réfléchissant à qui j'allais m'en prendre. Toi. Petite chose sans défense parmi tant d'autres. Toi. Je t'ai choisi. Je ne t'ai pas laissé le temps de te faire indifférent. Tu étais condamné, tu devais le savoir, c'est ton destin. Alors je me suis saisie de toi, et je t'ai préparé. Crois-moi, je l'ai fait avec tout le respect qui te revient. Car je te considère, comme tu es.

Puis, je t'ai emmené. Face à moi. Je t'ai installé dignement. Je t'ai regardé. Et, en l'espace d'un songe, je me suis attaquée à toi, à ton être. Armée de mon instrument, j'ai touché ta peau si blanche si fragile. Lentement j'ai commencé à la découper et à la faire disparaître à ma façon, personnelle, insolite, tellement expéditive. Tu t'es mis à disparaître, petit à petit. Aussi je me suis permise de me pencher sur toi et, de mon imposante hauteur, m'approprier gratuitement pour réduire à néant ton intimité, ton existence, ta raison d'être qui n'est déjà plus. Il ne reste pas grand chose de toi.

Mais j'en arrive maintenant à la partie délicate. Peut-être la plus secrète pour toi, la plus intime. J'ai atteint ce qui peut être ton cœur. Son enveloppe est si fine, éphémère, vouée d'emblée à sa propre destruction. La couleur est vive, très vive. C'est plus qu'un cœur, c'est un soleil, éclatant, qui invite au réjouissement. La rondeur en fait un petit monde harmonieux, presque vivant. J'ai tranché. Il s'est vidé de sa substance qui s'est alors répandue tout autour. Devenu disgracieux, il avait comme un air de ne pas comprendre. Je me suis doucement empressée d'aller recueillir, à l'aide d'un petit bout d'objet mou tout aussi éphémère, l'onctueux liquide qui n'en finissait plus de s'étaler, comme pour fuir désespérément son triste sort. Il a fini de la même façon que son pâle congénère. J'ai décidé d'achever dans la même foulée l'autre moitié restante, désemparée, afin de ne pas trop laisser durer son déshonneur, son aspect impudique.

Ainsi en est-il fait de toi, triste chose sans grande importance. Là où je t'ai placé, tu n'es plus. Il reste à peine les traces de ton passage. Tu ne fais plus partie du monde des choses existantes. C'est moi qui t'ai fait disparaître. Je ne te dirai pas où tu peux te trouver maintenant. Matériellement, cela n'a pas d'importance. Je peux te dire seulement que d'une certaine façon, tu es en moi. Il reste une dernière trace de ton existence, un soupir : La pensée que j'ai eue à ton égard. Et je te dis merci.

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