Journal d'une ménagère zébrée

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dimanche, janvier 10 1993

Veilleuse

Cachet de cire
L’épaisseur s’étire
Rougeur tendre
L’heure s’oublie
Les mots s’alignent
La main s’incline
Emprise du filin noir
Scintillements violets de l’étendue voilée
A la source du cœur dissimulé
La pluie fine et silencieuse parsème le chemin secret
Gouttelettes dorées de la pensée qui veille
L’âme dort au sommet de la montagne protégée
Les nuages défilent le sage se tait
Les animaux se déplacent librement
Gardent l’espace éternel et sacré
Monde en sommeil rempli de merveilles
Qui attend patiemment
Douceur infinie et subtile du vert éclatant et vivant
Gorgé de sentiments et d’eau claire
Richesse qui se garde refuse l’excès refuse l’ivresse
Le mot tiède se promène comme une bulle d’air frais
Sans intention et pourtant aux aguets
Tout en retenue et à la fois chargé d’espérance et de tendresse
Tel un soleil guettant chaque réveil
Discret et émotionnel
Et qui déploie ses rayons vermeils
Avec délicatesse sans hasard sans faiblesse
Ultime fragilité d’un monde sensible tout en finesse
Volontairement en déséquilibre de tant de promesses

Soupir

Soupir 
Un rêve 
S’installe
Elixir
Le temps
S’éveille
	Et s’évade
Les sentiments
Naissent
D’un point innocent
Tout autour de l’être
	Circulent
Des évanescences
Réminiscence
De la vie
      la vie
Coule
Comme du sang
Sur les doigts fins
Qui palpent l’espace
Tout autour
Un papillon danse
Un papillon
Une étincelle
Au centre de l’âme
Qui sommeille
Une mèche
S’enflamme 
Quelque part
Quelque part
Dans le ciboire
Vieilli
Par les années fidèles
De vieux désirs
Se rebellent comme un parfum
	D’encens
De vieux souvenirs
Dans l’odeur qui se promène
Et la mémoire
Se promène aussi
Dans les couloirs émotionnels
Une pensée pense
Quelque part
Dans un espace
Qui se recherche
Et des semblants d’être
	Sans blancs
Se déplacent dans la lumière
De leur espoir
Fragile lanterne
Qui oscille sans tempête
Fragile mouvement
Dans un espace immobile…

Lumignon

Je tranche le haut de la flamme 
en espérant
	que l'invisible ne se verra pas 
je sépare du visible l'indicible 
que la masse retombe vers la masse 
et s'échappe la pensée volatile
que la fumée reste fumée 
et la cire le regard froid 
l’œil brûle le désir 
et l'iris touche l'extase 
deux points noirs
s’en vont dans 1'espace infini 
l'âme fixe le bougeoir
le corps en sursis 
1’âme fige
et la cire coule 
	goutte à goutte
dans la paume de 1'avenir 
le couloir se rétrécit 
vers le grand vide sans surprise 
un lumignon survit
quelque part après la brise 
un souvenir
	la lumière 
un souvenir 
	la lumière
	éprise le temps d’un regard...

Evanescence

L’encens est un corps allumé
Qui brille en l’absence
	d’un corps désiré
La douce évanescence s’étend
Immanente 
Dans l’ambiance tendre
Du soir qui se déroule
Lentement
La narine palpe la cendre infinie
Qui se dépose en recueillement
Quelque part au fond de l’esprit
Quelque part un souvenir
Tout doucement remonte
Le long des sens
Un souvenir fait d’avenir
Qui trouble l’âme
Dans sa quiétude ascétique
Chaque parcelle d’encens
Emplit l’air d’un air 
	nostalgique
Les petits grains odorants
Éveillent l’ombre d’un rêve
Qui n’a jamais été réel
Un rêve de feu d’ambre et de cendre
Emplissant l’espace
Et reliant chaque être
Le rêve d’un corps immortel
Bannissant la solitude et l’ennui
Un corps séparable en plusieurs corps
Qui voyagerait les soirs de paresse
En des contrées indéfinies
Un corps comme la poussière
Redevenue poussière
Pour libérer l’esprit...                       

jeudi, janvier 9 1992

Lune de miel

La lumière se fige et se résorbe
La lueur jaune brille et se décroche
Les couleurs s’atrophient puis s’évaporent
Le décor s’incline et se disloque
Le velours orange se déforme
Gélifiant morne qui déborde
La musique se perd et s’étourdit
Les notes s’ennuient et s’entrechoquent
Dissonance amère de l’oubli
Ambiance statique et électrique
Le courant bleu vif s’éparpille
Couloir glacial de l’abîme
Les mots tissés se déshabillent
Le regard plissé s’introvertit
La lune défile volubile
Miroir usé du temps unique

Chambre froide

Glace. Glace
Bleutée froide
Beauté noire
Lumière âpre
Douceur fade
Il était un univers de marbre…
Lieu secret sans étoiles
Pièce rebelle sans échappatoire
Atmosphère terne de couloir
Infini clair où l’on s’égare
Paroi de verre à l’envers
Au-delà du miroir au-delà du regard
Éclat ouvert dans la faille
L’abîme suprême où la pensée défaille
Plongée en éveil sous le rivage
Loin loin vers le sommeil ancestral
Dans l’espace calme sans histoires
La mémoire solennelle plane et se déplace
Effleure les contrées éloignées
Où chaque temps s’est installé
A crée sa place
Enchevêtrement vivant et compliqué
De tous les liens du temps de la pensée
Cathédrale élancée
De tout aspect crée suscité
Le chef-d’œuvre de la conscience réalisée

Passage

Le jour s’est transformé en nuit
La nuit est devenue le jour
La nuit est arrivée si vite
Allongée dans mon lit
Je me suis endormie
La vie a basculé
Le monde s’est retourné
Et moi-même j’ai changé
Moi-même ne suis plus
Le souvenir de la veille est devenu l’axe
Par lequel toute chose s’est bouleversée
Je suis un autre corps portant un nouveau regard
Le lit est le lieu d’un incroyable voyage
En un instant tout devient différent
Comme si j’empruntais un mystérieux passage
Par lequel je découvre un autre présent
Maintenant il me semble deviner
Ce qui se passe dans l’univers de l’enfant
Dans le lit de la nuit les réalités se confondent
Par l’enfant se croisent deux mondes opposés…

Insomnie

Manteau de neige
M’enveloppe
Froid comme un profond sommeil
Et long comme une tranchante trêve
La faille tissée m’emporte
Loin des tièdes regards
Loin du réel en égal
Vers un séjour infernal
Une terre en bataille
Où l’écho se déporte
Les mots se dénotent
Et les figurent se défigurent
Dans un monde sans pareil
En dualité et gestes perplexes
Où les idées sont formulées
Les désirs décomposés
La lente insomnie se remonte
Par la pendule d’oubli et de honte
Glacial l’avenir s’enfonce
Comme un animal pris au piège
De sa phobie
Le gardien du rêve se fige
Désenchanté inquiet dubitatif
Son sourire se brise
Son élan se referme
Et la pensée se replie
Le corps se désunit
Comme un aveu décline
Une alliance se détruit
Dans le silence aseptique
De la maudite neige impassible
Vide parmi le vide
Telle un rempart d’éternité …

Automne

Principe d'amour
déliquescence d'un jour
désormais et toujours
sans regrets sans retour
les feuilles de Mai s'étiolent
les roses s’envolent
ni déjà ni regards
l'essentiel se dérobe
emporte le ciel le soleil et le rêve
paysage qui sommeille
disparaissent douceur et merveilles
la lune se voile et s'échappe
manteau blanc qui s'étale
recouvre les couleurs
referme les pétales
la perle du soupir se noie dans 1'oubli
la nuit s'agrandit
le vide a mangé les étoiles
le froid étend ses bras de glace
la vie se fige
1'envie se brise
miroir inconsolable
nostalgie d’un soir
la nuit tombe
porte le linceul
d'une âme déchirée
ultime élan
d'un regard cassé
…une larme passe
les mots s'effacent

jeudi, janvier 10 1991

Miroir d'un soir

Ce dernier soir comme à chaque soir
Je me demandais face au désespoir
Mais existe-t-il une beauté quelque part
Serait-elle comme on le dit
Cachée derrière le miroir
Miroir de l’âme miroir d’un soir
Je cherche toujours naïf espoir
Malgré le noir de mon âme
Je ne peux m’empêcher de croire
Qu’il existe quelque part
Une beauté cachée derrière le miroir
Le miroir s’efface à mes regards
Et je plonge mes regrets
Dans le verre qui délasse
Comme il est cruel de chercher
Quelque chose qui ne peut se voir
Mais déjà triste et désemparé
Mon être sombre car il se fait tard
Ce dernier soir comme à chaque soir
Je me demandais face au désespoir
Mais existe-t-il une beauté quelque part ?

mercredi, janvier 9 1991

Extinction

Élégamment hagard
Désespérément égal
L’être survivant s’efface
Tristement sans trace.
Le temps latent repasse
Les nuages s’espacent
Le paysage se tasse
Les histoires s’entassent.
Éléments dans le vent
Qui s’éteignent et se répandent
Le soleil vacille
Les douceurs s’éparpillent
Corbeille de mots vides
Les fruits pleurent la vie
Sommeil à l’infini
Le rêve expire l’ennui
Bain amer dans la mer de l’oubli
La rancœur des cœurs affaiblit
La liqueur du malheur étourdit
Éloignement irrémédiable
Isolement fatal
Dans les plis acides du souvenir

Éclair de nuit

Éclair de sommeil
La rampe des repères se défait
La lampe des rêves s’éveille
Univers solennel où règne la tiède lumière
Douceur claire comme la neige
Qui enveloppe l’âme et la berce
Abri de tendresse pour l’esprit en détresse
Délicate faiblesse où l’effort se replie
Le repos tranquille a tenu sa promesse