Journal d'une ménagère zébrée

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dimanche, juin 13 2021

Chaviré

Deux yeux tristes derrière la grille
me regardent passer
comme passe le temps figé
depuis son passé pauvre chat errant
enfermé dans son temps parti en fumée
la ferme s’est éteinte en dernier habitant
le chat me regarde presque implorant
planté au milieu de la cour délabrée
et les ronces semblent danser tout autour
des murs fissurés et clapiers condamnés
les vieilles mains ne sont plus
qui ouvraient la grille et la boite à pâtée
éclairant les fenêtres et le pelage du chat
tout seul au milieu de la cour et toujours
qui me regarde sans bouger
comme le gardien d’un phare oublié
et ses yeux fixes m’accompagnent
tandis que je m’éloigne
emportant son vague souvenir
la mémoire chavirée...

Chavire2

mercredi, juin 22 2005

Passage

J’ai poussé la poignée de l’instant
Et me suis assise ici là
La tête étalée dans l’air qui passe
Le poids du corps se relâchant
En une masse qui s’efface
Je me suis penchée et j’ai regardé
Entre mes pieds posés le sol usé
Une faille qui s’entrebâille
Entre deux piliers ancrés
Depuis combien de temps déjà
Comme un serpent délaissant sa léthargie
Lentement l’esprit glisse au-dehors
Du haut de sa montagne imprécise
Tandis qu’il se déploie et dévale le temps
Suspendu en un cliché permanent
La crevasse avale l’espace
Qui s’ouvre et deviens paysage factice
Et devient passage vers un autre paysage
Caché dans le vide qui bascule
Et le plein qui s’incline
Libérant une vie infinie
De lieux, de pensées, d’esprits qui attendent
Ici et maintenant de ressurgir …

dimanche, mai 22 2005

Miroir

Je t’observe
Par la lucarne entrouverte
Qui se pose sur ta silhouette
Je t’observe
A travers le cercle si parfait
Qui entoure ta tête
Je t’observe
Et pourtant
Comment ne puis-je retenir tous tes traits
Le regard est un mystère
Qui se perd le long de son couloir
En cherchant le passage
La porte devient fenêtre
Qui s’ouvre sur ma propre devinette
L’œil est ainsi un miroir
Monté à l’envers
Cherchant la pupille familière
Me voici sortie de mon propre univers
Alors l’unique repère
Change de partenaire
Et je devins la cible
D’un regard qui se retourne
Et me transforme en étrangère

vendredi, décembre 22 2000

Potager

L’homme
Cette plante humaine
Plantée à l’envers
Palpe la terre ombrageuse
De ses doigts en fourmilière
A la recherche de germes d’étoiles
Qu’il a plantés et s’attend
A voir s’illuminer
Et tandis qu’il s’enfonce
Tête la première
Dans le monde moribond
Ses pieds battent de l’aile
Et foulent les cieux
Oublieux des étoiles
Et Dieu qui contemple
Sans y croire
Cet énergumène
De plante plantée à l’envers
Qui retourne et chamboule
Tout le potager de son univers…

jeudi, janvier 1 1998

Mille regards

Mille regards
Se taisent sur mon passage
Se posent et s’envolent
Comme un profond complexe
En nuée invisible
Que cache l’humanité
Qui cache l’humanité
Révélant un indicible cauchemar 
Mille regards
Deviennent chaque jour
	 chaque seconde
Insectes noirs chassés
Par la monstrueuse paresse
D’une humeur à l’abondance
Rassasiée satisfaite
Par un mensonge insipide
Mille regards
Se taisent sur mon passage
Humiliés d’être si bas
Humiliés d’être
Tués déjà par ignorante faiblesse
	ou simple mégarde
Voulant dire ce qu’ils n’ont pas
Et cachant ce qu’ils sont 
Voués qu’ils sont à la honte 
	Et au mépris
Mille regards reviennent
D’un long couloir sans reflet
Le trou noir du temps obsédé
Fixé sur l’enfer de son passé
Qui remonte lentement
Comme une bave maladive
Chaque regard plongé dans son noir
Provoque le vertige
Libérateur de l’infamie
Le tremblement conspirateur
Qui attend de soulever
Sa fébrile vie
Mille regards
	et mille remords
	et mille espoirs
M’accompagnent sur mon chemin
Et me portent de plus en plus
Loin vers une quête inespérée
Peut-être inutile :
Ce qui doit s’avouer…

Ombre

L'homme vit
Et à côté de lui son silence
Ce merveilleux silence
Qui fait toute son existence
	Ou la défait
Sans le voir
Chaque jour l'homme se penche
Sur le berceau invisible
	De son humanité
Ramassée humblement 
Vers un coin de son esprit
Sans le savoir
Il côtoie sa propre proximité
Essence de son essence
Qui le suit doucement
Comme un animal craintif
Ou peut-être son ombre
Ou l'ombre de son ombre
Qu'il croit connaître
Le silence absorbe le temps
Et tandis que l'ombre de l'homme
Se prend au piège de l'ennui
Le temps d'un soupir
L'ombre de l'ombre
Libre
Voyage dans les rêves et le désir...

samedi, avril 1 1995

Frontière

J’escaladais les monts
	j’escaladais la mort
		j’escaladais les mots
pour franchir le pont
	approcher du port
		et toucher la peau
la peau rebelle et suave qui fait outrage
outrage à la vie des trépassés du Grand Naufrage
les sans-abris les sans-esprit abandonnés
laissés pour compte dans la nuit impitoyable

la peau rebelle qui ligote et ensorcelle
l’être faible l’esprit retors la pensée rongée
comme une prison double diaphane fatale
une fleur vénéneuse qui absorbe et disperse le mal

la peau rebelle de la vie sans retenue sans égale
qui éclate comme un soleil à minuit
en tissu de pêche et rêves vermeil
puissante à illuminer le profond sommeil
		ou les tristes veilles

je cherchais la peau
	touchais la porte
		et franchissais le pas
derrière l’enveloppe qui retient le monde
si fine si forte et tellement féconde
la frontière sous-jacente imaginaire et sans réticence
dans l’antichambre des désirs des bruits et du nombre
l’espace multicolore sans ordre où commence la pénombre...

jeudi, janvier 5 1995

Atlas

Atlas disait-on
portait le monde
de ses deux bras
Atlas n'est plus là
et le monde tombe
plus bas que l'histoire
ne le féconde
reste deux bras
pendus à l'univers
l'un frappe la misère
l'autre palpe le désespoir
deux bras à la recherche
de la face cachée
des corps entiers se terrent
sous chaque moitié incomplète
et l'âme s'enterre
dans les corps abandonnés
l'homme immobile se fige
entre deux pôles deux rêves
un avant un après
un pourquoi un peut-être
Atlas a porté le monde
et le monde se perd
d'avoir été déplacé
dans l'espace désorienté
le temps remonte sa science
Atlas peut tout recommencer…

Devant

Devant est devant moi
Devant devant moi
Devenant temps
Devenant tache indifférente
Tache de la conscience
Qui se déploie
Entre les dents – serrées – du langage
Entre les dents inégales
	Et non achevées
Qui tentent pourtant de disséquer
Ce qui est certain l’approximatif
Le semblant proche
Le semblant centre
Le centre est-il la langue entre les dents
Est-il morceau de chair ou d’avenir
L’espace de vide non formé
Espace libre de liberté
Doublement libre de délibérer… ?
Devant devant moi
Le temps continue de s’étirer
Sans savoir où il va
Si il est
Le corps se déploie aussi
Le corps du corps
Sans savoir qui il est
Le double du corps s’est peut-être déjà perdu
Non encore rattaché à son propre port
L’enjeu est d’invisible
Comme l’invisible émoi
De ce qui sépare – ou répare
Comme des cellules fluides
Les pensées se touchent
Ou se condamnent
Sans peut-être jamais se connaître
Millier de bulles rentrent en interaction
Dans le flegmatique règne de l’invisible
S’accouplent ou se superposent
Pour donner naissance à d’autres formes de vide
	d’autres interrogations

lundi, janvier 2 1995

Absence

Sans le savoir
Quelque part
Un vide sans tourmente
Un manque sans pleurs
Plongé au centre de l'homme
Sans le savoir
L'absence
Habille de douleur
Le couloir qui longe
Du cœur vers le cœur
En chaque un
Chacun porte sa mémoire intacte
Hors du tact délicat
De la main qui retient
Sans le savoir
Une douceur sans accueil
Plane dans le temps
Et s'abîme lentement
A la froideur de l'écueil
Et s'intensifie lentement
	Quelque part
	Sans le savoir
Et la longue attente
Sans désir suscité
Prend la forme du temps
	 La forme du monde absent
	 Qui regarde sans voir… 

samedi, janvier 2 1993

Prière

Je voudrais allumer un poème
en cette nuit si profonde et secrète
pour apporter un peu de lumière et de rêve
dans la nuit des douleurs endormies.

Je voudrais éveiller la douce clarté
qui sommeille dans les cœurs alourdis
afin que s'élève dans l'ambiance légère
un air de fête et de simple gaîté.

Je voudrais faire briller le tissu des amitiés
pour faire disparaître les colères glacées
voir se réconcilier les êtres séparés
voir la beauté de l'amour partagé.

Je voudrais raviver la chaleur de l'esprit
qu'il sorte de l'obscurité apathique et fébrile
qu'il bouscule les idées de vide et d'ennui
et s'élance dans l'espace rayonnant de désir.

Je voudrais éclairer le corps oublié
l'humble monument de chair tendre
qui offre la douceur, la joie, la liberté
la richesse est dans son équilibre si fragile
réceptacle sacré qui célèbre la vie.

Je voudrais allumer un poème
dans la grande maison désertée
la superbe maison au plafond étoilé
qui attend patiemment, espère depuis des années
que la vie reprenne dans ses jardins colorés...

.......... Version sonore sur YOUTUBE ..........

vendredi, janvier 10 1992

Ma belle endormie

Ma belle endormie
Quand ton visage se figera
Quand ton visage se figera
En une stèle fantomatique

Quand la mort se rapprochera
Et t'enlacera de sa lumière sacrificielle
Tel un sourire comblé de regrets
Et tous ces mots inavoués

Ma belle se posera sur ton doux visage
Le masque froid de la vie qui se renverse
Le masque blême de l'âme qui déjà faiblit
Et le triste effroi du mystère qui s'accomplit

Comme une robe délicate qu'on enlève
Pour célébrer un office étrange et secret
La vie te sera lentement reprise

Ton corps entier pour une dernière danse
Vacillera d'un pas tremblant
Avant de retomber doucement
Telle une feuille qui balance après l'été

Ton souffle sera l'ultime volonté
Comme un dernier passage
Émotionnel et pathétique
Sur le seuil pathétique
D'un lieu abandonné

La pierre glacée s'incrustera
Sous ta paupière
La bouche se fanera
En une fleur délaissée

Elle fermera boutique
Et taira à jamais
La divine musique
Qui l'animait tendrement

Tes doigts se refermeront
Avides d'en finir
Sur la maigre illusion
D'avoir tenu la vie

Ta cage thoracique se scellera
Expulsant le dernier souffle du désir
Et offrant cet enclos intime
A l'action ténébreuse de la nuit

Tes jambes deviendront unies et unanimes
Elles pèseront tout le poids du triste sortilège
Qui t'a enlevé la grâce légère de t'élever
- pilier inutile qui va bientôt s'effondrer

et tes pieds s'enfonceront
sous le socle de la destinée
ceux-là même qui t'ont portée
deviendront tes geôliers
qui t'emmèneront vers la prison
de l'obscure éternité

et l'on tirera sur le marbre de ton visage
la fine toile vindicative
comme on tire un chapeau fatidique
pour saluer le définitif voyage

et ainsi tu t'en iras
à moitié évaporée
telle une onde diaphane
glissant à l'horizontal
vers la porte dorée ou l'oubli acharné…

.......... Version sonore sur YOUTUBE ..........