Un corps était entré dans sa vie. Un corps invisible fait de chair d’ennui et de désir. Elle ne savait pas ce qu’elle allait en faire. Un corps s’imposait entre elle et le réel, avec son espace étrange d’attente et de vie. Un corps si grand et si petit qu’elle ne savait jamais où il était exactement, ni où elle en était elle-même. Comme un second corps, un double, qui jouait avec les mots et le temps. Tantôt très proche, tantôt absent. Tantôt en elle, tantôt autour d’elle, comme une porte, un passage qu’il fallait comprendre, accepter, intégrer pour aller vers autre chose, pour avancer. Ce corps, c’était le sien et en même temps celui d’un autre. Le corps dans sa totalité, entre l’intérieur et l’extérieur, entre présence et absence, entre chair et essence. Le corps d’un être accompli qui n’était pas elle-même ni quelqu’un d’autre, mais elle en devenir à travers l’autre…A travers le temps, ce corps passait revenait et s’en allait comme un messager secret pour la guider.
Tout cela était né des mots. Les mots avaient eu le pouvoir de créer un corps, un corps parfait sans matière évanescente. Un corps fait de désir et d’absence, une nouvelle façon d’être. Il fallait comprendre pour ne pas se perdre. Tout se joue au centre du langage qui s’est dépassé lui-même. Au centre du langage se trouve l’Etre. L’Etre l’avait traversé. Elle l’avait rencontré. Et elle allait le suivre. Par le seul regard des mots. Elle allait plonger dans l’univers abstrait pour prendre corps véritablement. Un autre corps, une seconde peau, spirituelle, flexible. La rencontre de l’esprit et de la matière. Sa propre matière avait rencontré l’esprit autre. Son propre esprit pouvait matérialiser un autre corps, il pouvait remonter le courant des sens pour trouver ce qu’il y a derrière, pour rencontrer un autre corps, une infinité d’autres corps. Au-delà des sens tous les corps se rencontrent…