Journal d'une ménagère zébrée

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dimanche, décembre 31 1995

Paradoxe

L’écriture est un paradoxe
Elle dit ce qu’elle n’est pas
Et ne dit pas ce qu’elle est
Elle s’affirme pour s’autodétruire
Et doit s’autodétruire
Pour véritablement s’affirmer
Ce qu’elle veut dire
Elle n’ose le croire
Et ce qu’elle croit
Elle ne peut le dire
C’est la raison pour laquelle 
Elle existe
Faite comme l’homme
Son essence même est le paradoxe
Miroir de vestige
Miroir d’un vertige
Elle renvoie l’image propre
	De l’homme
L’homme projette dans l’écriture
Son incapacité physique
La blessure corporelle
D’être et ne pas être en même temps
De savoir et ne pas savoir qui il est
L’écriture est la distance
Qu’il s’accorde pour mieux s’apercevoir
	     Ou mieux se fuir
Par cette arme à double tranchant
Il a le pouvoir
De remonter le temps ou le défaire
Etait-il avant le temps
Ou le temps était-il avant lui ?
Sans aucun doute
L’écriture rythme sa florescence
		Ou sa dégénérescence
Chaque seconde se fait le mot
Qui ouvre le monde ou le clôt
Et chaque mot féconde ainsi
L’esprit ou le détruit
Cependant l’immense fatigue
Ne saurait tarder à se faire sentir
Dans ce balancement perpétuel
Du vide vers la vie
Entre l’être et le non-être
Paradoxe de l’homme
Et paradoxe même de l’écriture …

jeudi, décembre 14 1995

Procession

Je chemine calme
Sur le blanc de la page
Sur la plage invisible
De mon esprit
Qui se déroule
Page par page
Ame par âme
Tandis que mon corps
Rentre en dedans
De son propre vide
Le stylo touche le sang
Pour gémir son émoi
Et l’encre coule en transe
Dans ma tête vide
Mes membres engourdis
Comme une drogue dévastatrices
L’étrange torpeur m’envahit
Et les mots sortent
Lentement de leur insomnie
En procession insolite
Les petits insectes
Grignotent le peu de vie
	    Qui me reste
Je grouille de vers
Qui s’installent
Sur les pages du souvenir
Le souvenir du terrible devenir
Les taches s’éparpillent
Les mots éclatent
Nés de l’œuf unique
La grande couveuse ingrate 
		Qui s’oublie
Je nage dans mon espace
Comme un poisson lunatique
Qui a perdu ses racines
	  son image 
	     sa vie
L’eau s’est retirée
Dans le bocal invisible
Caché derrière le miroir
Caché derrière la page
Les livres les mots 
	  les dictionnaires
La plume est un lance feu
Transformé en lance-pierre
Pour atteindre la vitre
Et la casser
L’eau des mots
Attend de se répandre
Pour remplir le corps sec
	      la matière vide
	      qui se languit…

vendredi, décembre 1 1995

Valse trouble

Le monde est à 1'image
De toute âme condamnée
A errer sans repères
Perdue dans l'univers
Vaste prairie sans arbre ni abri
Où règnent le silence 1'absence et les cris
Vaste terrain vague à vagues humaines
Où les êtres se cherchent se touchent et se fuient
Sans voir ni savoir où tout commence et finit
Infinissable piste de danse
En friches et sans limites
Où s'élèvent et s’achèvent
Les mouvements de la vie
L'harmonie se pose et s'emporte
Rassemble et détruit
Tout élan sentiment et désir
Danse infinie et inquiète
Qui  avance et répète
Le mystère de son rythme
Un pas dans le vide un pas dans le rêve
Un mot d'émotion un cœur qui  oscille
Un pas qui dit oui un pas qui dit non
Et le monde vacille entre amour et folie...

A table !

J’aimerais être mangée par les mots, avalée sans assaisonnement, dévorée crue instantanément…
Je serais d’abord repérée par les grands textes dominants, je serais comme ciblée par ces monuments impressionnants, hauts placés, de toute beauté et rayonnants. Et de longues phrases se rapprocheraient, comme éveillées par la curiosité, elles se déplaceraient lentement en sifflant légèrement. Minces filaments dorés étirés infiniment qui émettent un bruissement discret provenant de l’entrechoquement de leurs fines et infimes lettres, qui constituent leur puissante et rebelle matière. Elles m’entoureraient et alors déjà je serais encerclée, je ne pourrais pas m’échapper. Je serais enfermée dans ce rempart superbe et glacé aux mille pierres brillantes et dansantes, infatigables, indélogeables et toujours trépignantes, cliquetantes.

Puis l’édifice magique se resserrerait, se simplifierait aussi, dans un rythme soutenu, élégant et pathétique. Et poétique. Alors je commencerais à sentir les nombreuses aiguilles palpitantes et électriques, au contact de ma chair qui se mettrait à frémir. Aiguilles acérées, vives et métalliques : les dents étincelantes en appétit. Les phrases se détacheraient en un mouvement souple, allègre, sans résistance ni déchirement. Simplement elles se sépareraient régulièrement, tout en conservant leur unité intègre. Alors les mots apparaîtraient et s’aligneraient, en me regardant. Je serais face à eux dans un dernier instant. Je pourrais les contempler, un à un patiemment, je savourerais leur profonde noblesse, leur entière beauté, j’aurais ce privilège.

Et eux poseraient sur moi tous leurs petits yeux arrêtés, ils me feraient voir une lueur étrange, une lueur étrange et fascinée, celle de leur cœur affamé. Il y aurait un instant de silence, un silence solennel et pesant, la minute sacrée où se résume l’existence, moment intense où s’accomplirait enfin un échange véritable, le face à face déroutant de deux mondes différents. Puis sonnerait l’heure de ma fin, de la fin de mon destin et l’œuvre de leur faim. Sans empressement, ils se laisseraient descendre sur moi, ils tomberaient goulûment comme une pluie lente et acide. Je serais déchiquetée.

Ils m’envelopperaient entièrement de leurs mandibules affairées, chacun s’en prendrait à un morceau de ma tendre chair. Ainsi je disparaîtrais. Et comme il y a autant de mots que de particules, chaque particule de mon être serait mangée par un mot. De la plus petite à la plus grande, je serais complètement dévorée. Et puis ce n’est pas fini. Car je serais aussi digérée, alors chaque atome, lentement, progressivement, se transformerait. Il passerait tout doucement dans l’intestin en papier glacé du mot qui serait rassasié. Il se transformerait puis ressortirait sous une autre forme, dans une autre vie peut-être. Il deviendrait un mot ou une lettre, qui sait ?

Et moi, petit à petit je renaîtrais, invisible, différente, mais vivante. Je serais moi aussi un mot. Un mot constitué d’autres mots. Et de lettres, plein de lettres. Et je ferais partie de leur univers. Je vivrais dans la paix, le bonheur simple de la paix. Je serais un nom, rien qu’un nom, et cela, je m’en contenterais. Cela, j’aimerais…j’aimerais être mangée par les mots.

Union sacrée

Le corps heurte le cœur
et l'esprit s'éparpille
l'esprit trop grand
s'efface lentement
vers un passé archaïque
ou le temps à venir
à l'encontre de l'instant vérité
l'être s'écarte douloureusement
le vertige se creuse
dans la mémoire avilie
tant d'instants se sont succédés
sans la certitude de ce qui a été
ou peut être encore
si la vie le désire...
le désir lui-même s'échappe
de son contexte dépassé
à la recherche de l'extase
qui s'étire en éternité
l'être humain peut-il être
davantage qu'un assemblage
d'émotions ou de rêves?
l'unité est si précieuse
le trésor caché qui provoque
la quête de toute une humanité
qu'elle soit réelle - ou extraterrestre
et le monde est si petit
quand l'essentiel manque
et l'essentiel n'est fait de chair
ou de simples mots alignés
mais de l'union mystérieuse et sacrée
de deux choses ou deux êtres
car deux êtres se croisent
et croisent leur manque
et croisent leur désir
en une seule et même vérité
qui s'installe en réalité..

Voyage insolite

Voyage insolite
au cœur de l'intime
l'intime tendresse
provoque la douleur
la douleur émotionnelle
cachée dans le vide
par le rite initiatique
elle renverse la douleur
la détresse impudique
d'une vie sans ivresse
voyage insolite
par les mers sensorielles
les repères se détachent
comme des gouttes à la dérive
un par un ils s'enlèvent
et se dévident d'eux-mêmes
tel un tissu inutile
qui s'en irait par un fil
pas à pas recule la barrière frigide
de l'emprise tyrannique
l'être extatique
s'enfonce dans le rêve
voyage insolite
au pays de l'abstrait
le mystère limpide
baigne le ciel
le ciel à l'envers
de l'univers personnel
la matière se défait
comme une étoile liquide
par un coin du secret
à peine soulevé
la pensée traverse
cette toile translucide
paysage anachronique
derrière la paroi
les idées sont arrêtées
figées avant de naître
et la pensée disparaît
au pays du mystère
elle devient indéfinie
quelque chose d'infini
il ne reste d'elle
qu'une infime parcelle
l'unique parcelle d'être
qui voyage insolite
au cœur de l'intime...

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Valse

Valse multicolore
Déferlement vaste
Des multiples corps
La vie se réclame
A coup de décors
Les désirs s’enchaînent
Sous un moindre effort
Rêveries sonores
A différentes thèmes
La musique invite
Toute âme qui traîne
Les regards s’attirent
Sur un jeu de rythmes
Et les cœurs s’étirent
Sous un ciel fébrile
Les douleurs faiblissent
Par le feu du rire
Les peurs se retirent
En un doux soupir
Et encore une heure
De tiède délire
        Et encore une heure
        A n’en plus finir
        Et encore une heure
        Jusqu’à en mourir …

samedi, avril 1 1995

Frontière

J’escaladais les monts
	j’escaladais la mort
		j’escaladais les mots
pour franchir le pont
	approcher du port
		et toucher la peau
la peau rebelle et suave qui fait outrage
outrage à la vie des trépassés du Grand Naufrage
les sans-abris les sans-esprit abandonnés
laissés pour compte dans la nuit impitoyable

la peau rebelle qui ligote et ensorcelle
l’être faible l’esprit retors la pensée rongée
comme une prison double diaphane fatale
une fleur vénéneuse qui absorbe et disperse le mal

la peau rebelle de la vie sans retenue sans égale
qui éclate comme un soleil à minuit
en tissu de pêche et rêves vermeil
puissante à illuminer le profond sommeil
		ou les tristes veilles

je cherchais la peau
	touchais la porte
		et franchissais le pas
derrière l’enveloppe qui retient le monde
si fine si forte et tellement féconde
la frontière sous-jacente imaginaire et sans réticence
dans l’antichambre des désirs des bruits et du nombre
l’espace multicolore sans ordre où commence la pénombre...

jeudi, janvier 19 1995

La chute

mardi, janvier 10 1995

Ablution

Le corps à l’étroit
Dans sa chair ascétique
Et les pieds sur le sol froid
De la surface hermétique
L’âme se défait de son habit éphémère
En un bruissement d’eau claire
Et de lumière enjouée
Un voile s’entrouvre
Et une tiédeur se referme
Un à un se dénouent les liens fatigués
En un rituel sensuel
Fait d’un peu d’abandon
Dans un jeu d’abondance
Le paysage à moitié distrait
S’échappe en une fumée partielle
Mêlée d’aveu et de sommeil
Le soulagement ruisselle
Sur le visage offert
A la sécurité d’un temps en retrait
Dans son absence asséchée
Le monde s’écoule
En une procession informe
De particules folles
Emportant la dérive de rêves
Que recèle le corps
Au fond de son désert

jeudi, janvier 5 1995

La Grande Miraculée

Je suivais avec passion
La Grande Miraculée
Dans son dessin sans raison
Au centre du monde déchiré
Tourbillon obsédant
Dans le bain du sang étalé
Sillon étrange et glacé
Qui se répète inlassablement
Dans le creux des choses égarées
Recoupe et rassemble
Les particules mélangées
Cette pluie fine et déchaînée
Dans l’espace surchauffé
Inquiétante cadence
Qui l’on ne peut arrêter
La fiévreuse danse
Qui déplace les mondes exaltés
Sur le sinueux et complexe
Chemin de la Grande Miraculée
Je suivais la course dangereuse
Et folle de la vie passionnée
La petite flamme du feu éternel
Qui traverse les multiples univers
Sans repos sans faiblesse
Et empile les mondes les êtres les âmes
S’appliquant à construire des châteaux
De plus en plus beaux
De plus en plus vastes
C’est avec passion
Que je suivais
La Grande Miraculée
Je ne savais pas où j’allais
Où j’allais aller sans raison
Au centre du monde déchiré
La vie s’accélère
Elle n’en peut plus de briller
Dans le bain du sang étalé
L’univers se déforme et s’agrandit
Les êtres s’affolent
Les âmes s’alourdissent
Tourbillon obsédant et enivrant
La fiévreuse danse
Qui déplace les mondes exaltés
Le château se construit
Toujours plus beau
Et plus fragile
Pas de repos
Pas de faiblesse
La mort
La mort
Se transforme
Aussi…

Atlas

Atlas disait-on
portait le monde
de ses deux bras
Atlas n'est plus là
et le monde tombe
plus bas que l'histoire
ne le féconde
reste deux bras
pendus à l'univers
l'un frappe la misère
l'autre palpe le désespoir
deux bras à la recherche
de la face cachée
des corps entiers se terrent
sous chaque moitié incomplète
et l'âme s'enterre
dans les corps abandonnés
l'homme immobile se fige
entre deux pôles deux rêves
un avant un après
un pourquoi un peut-être
Atlas a porté le monde
et le monde se perd
d'avoir été déplacé
dans l'espace désorienté
le temps remonte sa science
Atlas peut tout recommencer…

Devant

Devant est devant moi
Devant devant moi
Devenant temps
Devenant tache indifférente
Tache de la conscience
Qui se déploie
Entre les dents – serrées – du langage
Entre les dents inégales
	Et non achevées
Qui tentent pourtant de disséquer
Ce qui est certain l’approximatif
Le semblant proche
Le semblant centre
Le centre est-il la langue entre les dents
Est-il morceau de chair ou d’avenir
L’espace de vide non formé
Espace libre de liberté
Doublement libre de délibérer… ?
Devant devant moi
Le temps continue de s’étirer
Sans savoir où il va
Si il est
Le corps se déploie aussi
Le corps du corps
Sans savoir qui il est
Le double du corps s’est peut-être déjà perdu
Non encore rattaché à son propre port
L’enjeu est d’invisible
Comme l’invisible émoi
De ce qui sépare – ou répare
Comme des cellules fluides
Les pensées se touchent
Ou se condamnent
Sans peut-être jamais se connaître
Millier de bulles rentrent en interaction
Dans le flegmatique règne de l’invisible
S’accouplent ou se superposent
Pour donner naissance à d’autres formes de vide
	d’autres interrogations

Rouge sang

Ancienne reconnaissance
Redeviner
Ou retrouver l’amour
- quel amour fou ?
En couteau sanglant
Vers la plaine d’origine
	  La plaie ultime
Un appel de l’espace …
L’eau vive circule
Dans les regards segmentés
En prise de glace
Ou de fou rire refoulé
Comme autant de gouttes d’univers
Qui racontent à leur façon
Le mystère de ce qui fut
	Ou de ce qui pourrait être
Les visages s’atteignent déteignent
		S’enlèvent
Comme de fébriles courants d’air
Fuyant la peine et le désastre
Le désastre de leur propre vertige
Qu’ils couvent et secouent
	En invisible teigne
Si intangible et fragile scène
La surprise légère s’effraie d’un tel abîme
Le paradoxe sublime laisse perplexe 
Rouge sang je raconte l’indicible 
Indicible émoi ou indicible haine
Tout au fond des trésors engloutis
En chaque roi qui se promène
Sans le savoir sans se connaître
Les âmes se déplacent insouciantes
Et faussement sereines faussement reines
Les corps traînent
En billots laissés à découvert
- cortège indélicat et cruel -
Selon l’humeur de leur propre folie
Rouge noire sang ou incertaine
Et se déchaînent ou s’enchaînent
Prêts à trancher ou disséquer
Toute lueur vagabonde de vie
Sombre hécatombe d’un complexe invisible
Qui dégénère en maladie obsessionnelle
Rouge sang je raconte
Cette funeste oraison
D’une douleur en sursis…

Plaisir esthétique

Le plaisir suprême
est le plaisir esthétique
du regard posé
sur la chair qui se tait
blême et pathétique
dans le corps du mystère
qui la sert et l'enserre
sous sa forme magique
les viscères se tiennent
et retiennent le sang de l'âme
au centre de la machine
vaine qui alimente le mécanisme infâme
la pensée tourne et s'impatiente
dans le piège inconsistant
de la matière qui l'enferme
loin de son univers
loin de ce qui la fait être
la vie ordonne le désarroi
et la mort l'espoir
qui s'infiltre en dedans
comme une fuite vers l'échappatoire
alors s'entrouvre
la fenêtre ultime de l'âme
par une agonie improvisée
le regard mime la mort
et longe ses penses insolites
et la mort plonge dans le regard
et creuse l'ouverture vers l'impossible
par le fil ténu qui s'étale à l'infini
l'âme voyage et creuse le paysage choisi
autour du regard qui se referme
et d'un corps nouveau qui se regarde
par le plaisir suprême
qui est le plaisir esthétique
du regard posé sur la vie qui se démène...

Vertige

Par le soleil accroché dans le vide
La terre tourne sur elle-même
Folle blême emprise au vertige
C’est comme si elle fondait
En une glace incompréhensible
En une eau froide et solide
Qui la ferait tomber davantage
En arrière de ses propres limites
Par cette pause interdite
La terre secrètement se décompose
De paysages en paysages
Tel un immense mirage
Qui se diviserait à l’infini
C’est comme si elle mourait
A chaque instant
Et à chaque instant renaissait
Plus insolite encore et pleine de mystère
Par le soleil accroché dans le vide
En souverain amoureux et tyrannique
Qui impose sa lumière divine et avide
La terre semble progresser à l’envers…

lundi, janvier 2 1995

Recueillement

En recueillement dans la douleur
juste là, sans effort sans heurt
	  sans forme ni couleur
comme la flamme dans la fleur
et la fleur au fond de l’arbre
de tous les arbres qui tendent les bras
	 et touchent l’espace
l’Infini qui emporte leurs fruits

En recueillement dans la douleur
juste là, sans effort sans heurt
	  sans forme ni couleur
comme la sœur au cœur en larmes
qui se place au creux de l’astre
et s’efface en cathédrale
disparaît au centre de l’Ame
d’où émanent toutes les âmes
liées imbriquées et indissociables

En recueillement dans la douleur
juste là, sans effort sans heurt
	  sans forme ni couleur
comme le regard portant le regard
tout au fond de l’image
au-delà l’illusoire mirage
derrière l’invisible miroir
en ce lieu secret
sans lumière sans bruit
et sans barrière ni limites
où plus rien n’existe et tout est possible

En recueillement dans la douleur
juste là, sans effort sans heurt
	  sans forme ni couleur
comme la conscience entraîne la conscience
perplexe folle et volontaire
image après image
porte après porte donnant sur l’inconnu
jusqu’à dépasser l’illusoire mirage
et remonter le temps de l’univers dérisoire
en cet espace face au commencement
	et face à l’accomplissement
où tout est entamé et tout est achevé
le domaine étrange du Responsable et de l’Espoir…

Immanence

L'harmonie doucement s'élève 
d'un corps encore endormi
la beauté éclate
comme une danse imaginaire
et toute la magie de l'univers 
semble venir se concentrer
autour de cette masse énigmatique 
comme si elle-même était
présence indicible le centre ultime
où se rencontrent tous les royaumes possibles 
incertain et encore dans 1'innocence
1’être ne vit que pour sa fragile survie
1'oeil  s'entrouvre et s'embrumit
en phare unique de la pensée étale
1'univers magique de l’être dans le noir 
se perd déjà dans le drap de la mémoire 
pour une nuit, une nuit seulement
dans les jardins de l'espoir 
la fenêtre n'est jamais loin
de se refermer à jamais 
entre deux mondes si épris en eux-même 
pour une nuit seulement,
la nuit de l'espoir
1’âme aux aguets se tend hors d'elle-même
et se tord dans les labyrinthes impossibles 
d'un sommeil  qui s'étire et emplit
tout 1 'espace du rêve ou de 1'oubli
au rythme secret d'une mer qui se vide
pour se remplir en elle-même 
au rythme d'un souffle qui joue
sa propre musique
et peut-être un langage qui défait et refait 
le monde comme une pelote infinie
le temps se décale se creuse se renverse 
pour faire du sommeil de 1'un
	la veille inquiète de l'autre
		c’est-à-dire un jour sans soleil 
			ou un soleil sans nuit 
			une nuit sans désir
une nuit plus vide que la nuit elle-même 
car elle est comblée d'une attente 
sans répit, sans faiblesse, sans vague, 
dans une immobilité quasi monolithique 
la conscience tente de réparer l'inacceptable
			faille
de cette solitude totale et absurde
- peut-être peut-elle doit-elle 
remodeler son cheminement ?- 
afin d'en compenser la cruelle souffrance
…ainsi se demande-t-elle chaque soir 
et retraverse 1'existence à 1'envers 
tandis que s'élève léger et volubile 
le souffle triomphant et complet 
d'un corps encore endormi...

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Voyage maritime

Bleu-vert, bleu-vert, bleu-vert,
l'âme se soulève et plonge dans la mer
éparpillement subtil des gouttelettes de rêve.
Bleu-vert, bleu-vert, bleu-vert,
enlisement secret dans la masse amère qui veille,
éclatement rebelle de particules d'ivresse.
Bleu-vert, bleu-vert, bleu-vert,
avancée insolite dans la coulée de mystère,
le repère magnifique aux parois fragiles de verre,
de verre liquide, mobile, qui s'emplit, qui se vide,
qui s'emplit, qui se vide,
bleu-vert, bleu-vert, bleu-vert,
voyage tranquille dans le rythme infini
qui s'amasse, enlace, délaisse, délasse,
la pensée arrêtée, enlevée, oubliée,
bleu-vert, bleu-vert, bleu-vert,
attachement-détachement, attachement-détachement
…détachement, éloignement, loin, là, là-bas,
dans le reflet calme, sage, du miroir qui s'étale,
large, si large,
et porte et emporte la vie, le rêve, l'âme, le regard,
bleu-vert, bleu-vert, bleu, bleu…

........ Version sonore sur YOUTUBE ........

Absence

Sans le savoir
Quelque part
Un vide sans tourmente
Un manque sans pleurs
Plongé au centre de l'homme
Sans le savoir
L'absence
Habille de douleur
Le couloir qui longe
Du cœur vers le cœur
En chaque un
Chacun porte sa mémoire intacte
Hors du tact délicat
De la main qui retient
Sans le savoir
Une douceur sans accueil
Plane dans le temps
Et s'abîme lentement
A la froideur de l'écueil
Et s'intensifie lentement
	Quelque part
	Sans le savoir
Et la longue attente
Sans désir suscité
Prend la forme du temps
	 La forme du monde absent
	 Qui regarde sans voir… 

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