Je m’adresse à toi, être secret, être caché en moi. En même temps que moi tu es né, en même temps que moi tu as grandi. Sans le savoir, tu es le premier sur qui j’ai posé mon premier regard et l’être à travers qui j’ai posé mon premier regard sur le monde et mes premiers pas. Tout à tour, tu as été celui qui m’a accueillie, avec tendresse, avec fermeté aussi. Les bras maternels, la voix paternelle, le lien fraternel. Avec toi j’ai ri, j’ai joué, j’ai pleuré aussi. Tu m’as appris l’amour, la joie, le rêve, la spontanéité.

Et puis j’ai grandi jusqu’à ce que le monde pose sur moi son fardeau de souffrance. Ce lourd tribu dont il transmet un bagage à chacun pour la vie. Et j’ai découvert le manque, la tristesse, la douleur. Toi qui était miroir de ma joie de vivre tu es devenu le reflet de ma propre tristesse, l’image de ce qui me faisait mal. Alors, ne supportant plus cette relation qui était devenue comme un déchirement, j’ai rompu le lien avec toi.

Ne voulant plus vivre cette intimité douloureuse je t’ai rejeté et t’ai caché à un endroit où je ne risquais pas de te retrouver dans la vie : en moi-même. Miroir de mon âme blessée, je t’ai enfermé dans le noir de mon esprit, tout au fond de mes rêves éteints, pour t’oublier. Vivre sans reflet de ma vie me permettait d’ignorer la douleur. Ne plus sentir, ne plus souffrir. Mais je sais que je ne suis pas la seule à t’avoir enfermé dans ma prison oubliée, tant d’autres personnes ont ainsi enfermé l’être de leur vie en elle-même…

Et le monde va mal, le monde dépérit. Ce lourd bagage qu’il donne à chaque personne, à la mesure de ce que chacun peut porter, c’est dans le secret espoir qu’en partageant sa douleur, nous pourrons le libérer. Et ce monde qui est en attente c’est le tien, celui où l’on vit sans oublier, sans avoir peur, sans cacher ce que l’on ressent. Dans ce bagage se trouve la clé, pour le libérer il faut te libérer d’abord. Moi qui m’étais sentie trahie par cette souffrance entrant dans ma vie, je me suis trahie moi-même en te reniant de la sorte. Alors je m’en veux, mais l’heure n’est plus maintenant aux sentiments douloureux. Je sais que tu ne souhaites qu’une chose : c’est que je te libère et que je te redonne vie.

Alors, cher être caché en moi, après si longtemps tu es devenu un inconnu. Toi qui as porté l’ombre de ma conscience, qui es-tu ? Laisses-moi deviner…Tu as été à la fois ma mère, mon père, mon frère, mon professeur, mon ami(e), puis mon amant, chaque être inconnu que j’ai pu croiser aussi. Cet être que je suis et ne suis pas en même temps, l’Autre en moi qui crée le lien avec le monde. Tu es également la présence de Dieu en moi. Tu es ce qui me permet de devenir meilleure, ce qui me permet de devenir un jour un « être complet », sans manque, sans déchirement, sans souffrances. Alors je te demande pardon pour t’avoir rejeté et ne pas avoir cru en toi. Et je te demande du fond du cœur de me permettre de te retrouver…