En chaque être humain il y a un être concret et un être spirituel. L’être concret, c’est celui qui tend à aimer la vie dans son propre monde. L’être spirituel, c’est celui qui tend à désirer la Conscience, une conscience qui dépasse cette même vie, ce même monde … La vie sur terre n’est pas un aboutissement mais un commencement. Chaque seconde présente est l’aboutissement de la précédente mais le point de départ de la suivante. Incroyable paradoxe qui se répète inlassablement au fil du temps. A la fois étrangement exaltant et horriblement frustrant…l’aboutissement à chaque seconde est celui de l’être concret. Le point de départ pour l’éternelle seconde suivante est celui de l’être spirituel. L’art de la vie consiste à trouver l’équilibre le plus juste, l’harmonie entre les deux êtres, entre les deux mondes différents.

Le monde concret ne doit pas empiéter sur celui de l’être spirituel, sinon c’est l’enfermement. Et de même, l’univers spirituel ne doit pas complètement envahir le monde concret, sinon c’est la déperdition … Dans un monde où le concret s’est trop développé et qui s’est enfermé donc dans son propre temps, l’être, qui se retrouve alors dépendant, prisonnier de ce même temps, doit développer, au-delà de celui-ci un autre espace donc un autre temps dans lequel il puisse trouver la part de vie qu’il a perdue, par lequel il puisse se rééquilibrer, se développer.

Le monde concret enferme, mais il n’est en fait qu’illusoire car il est simplement une densification du temps, c’est-à-dire le résultat d’une conscience particulière… La matière est une densification du temps. Le temps lui-même est en fait une conscience. Il est conscience qui engendre de la conscience. L’espace de la conscience engendre la conscience de l’espace. Plus il y a d’espace de la conscience, plus la conscience de l’espace est grande … Entre l’espace de la conscience et la conscience de l’espace, qu’y a-t-il ? Le temps. Le temps est le décalage entre l’espace et la conscience. Il est comme une brèche ouverte. Il est aussi l’espace offert à la conscience, il est la vie … L’espace d’un côté, la conscience de l’autre. Entre les deux : le temps.

Peut-être la conscience porte-t-elle en elle le désir de l’espace et l’espace l’amour de la conscience. D’où viendrait le temps ? Le temps serait une création de Dieu, une brèche ouverte qui permettrait à la conscience de rejoindre l’espace. Ou alors : le temps se trouverait entre l’espace et la conscience. Il serait aussi grand que l’espace et que la conscience en devenir et, se situant entre l’espace et la conscience, il serait en quelque sorte le miroir de la conscience. Il serait le miroir de la conscience jusqu’à ce que cette dernière soit suffisamment grande et découvre essentiellement que le temps est en fait son propre espace, jusqu’au moment où elle se retourne sur elle-même comme un gant, dépassant ainsi son propre miroir, se libérant enfin, devenant entièrement autonome. C’est-à-dire vivant en elle-même, par elle-même, pour elle-même.

Au moment où la conscience se retournera sur elle-même, le temps ne s’inversera-t-il pas ? Tout ne s’inversera-t-il pas, alors ? Et la conscience, au lieu de rechercher le monde, de se rechercher elle-même, créera son propre monde … Notre perception actuelle du temps, n’est-elle pas fausse ? Si l’on imagine qu’on va vers la vie, alors le temps ne se déroule pas, il est entrain de se remonter. Ceux qui en eux-mêmes défont le temps vont vers la « mort ». Ceux qui en eux-mêmes le remontent vont vers la «vie». Au fond, n’est-ce pas nous-même qui donnons son sens, au temps ? N’est-on pas libre de le décider ? Alors, le cheminement dans le temps serait essentiellement une affaire de volonté ou plutôt de désir même par rapport à la vie.

Le temps est en fait la conscience. Ceux qui défont le temps défont peut-être leur propre conscience. Ceux qui remontent le temps au contraire remontent la conscience. Alors peut-être le temps n’est-il aussi qu’une question de foi : à savoir s’il va vers la vie ou s’il va vers la mort. Peut-être est-on entièrement libre et « responsable » aussi au point de décider cela ? Peut-être chacun doit-il décider pour lui-même et il y aurait autant de possibilités, de vérités que de choix. Peut-être que le temps lui-même en dehors de la conception de son propre sens est la trame gigantesque, infinie qui comporte ainsi en elle-même toutes les possibilités de choix, c’est-à-dire tous les mondes possibles.

Le sens alors qu’on lui donnerait, l’intensité, la valeur qu’on lui accorderait correspondraient en fait au chemin que l’on souhaiterait parcourir soi-même sur son immense trame, chemin plus ou moins grand et soit vers la vie, soit vers la mort … La notion de temps serait ainsi quelque chose d’éphémère et illusoire mais indispensable pour évoluer dans le monde, pour passer d’un monde à un autre. Le temps étant la Conscience, sa notion même serait indispensable car elle serait le recul nécessaire, unique, qui permettrait d’évoluer en lui-même, c’est-à-dire en la Conscience, en le monde.

La notion du temps serait donc un intermédiaire entre la conscience et le monde. Entre une conscience et une conscience. Plus qu’un intermédiaire, il serait un moyen de communication, un « outil » même pour la conscience. Le temps n’existe pas en lui-même mais il représente en quelque sorte la conscience du monde. Il est la trame du monde. Inversement, la conscience existe en elle-même, mais elle n’existe pas de manière « figée », fixe. Elle est en quelque sorte vivante, mobile. Aussi, le temps serait véritablement la trame par laquelle la conscience pourrait non seulement « voyager » dans le monde, mais aussi « communiquer » avec lui. Donc le temps n’existe pas, il est la trame du monde, il en est la conscience fixée, déjà « morte ». Cependant, s’il n’existe pas, c’est la conscience individuelle qui lui donne vie. Aussi, elle le fait vivre, lui donne vie partout où elle se déplace dans le monde.

Le véritable monde n’est pas dans le temps qui s’écoule, il est dans le temps qui s’est déjà écoulé, que ce soit dans le passé ou dans le futur car le monde ne se trouve pas dans la conscience, mais c’est la conscience qui vit dans le monde. Le véritable monde, ce n’est pas ce que je perçois, c’est ce que je ne perçois pas. Il n’est pas ce que je le crois être, il est ce que je ne l’imagine pas encore être. Il est ce que je peux créer à partir de ce que moi-même je suis, à partir de ma propre conscience dans laquelle donc il ne se trouve pas, mais qui peut justement d’après sa vérité à elle-même, en elle-même, le révéler. La conscience révèle le monde, et l’être le crée…

Le monde concret qui enferme serait donc le résultat dune « densification » du temps, de la conscience. Comment faire pour se libérer ? Il faudrait donc opposer au temps qui enferme la conscience qui ouvre. C’est peut-être pour cette raison alors qu’il faut aimer, que l’on ne peut qu’aimer la matière de ce monde. Et pour pouvoir aimer cette matière il faut retrouver sa profonde vérité, sa propre raison d’être. Or, trouver cette raison d’être c’est traverser l’espace, c’est « remonter » le temps de la matière. C’est vouloir découvrir son origine. Comme l’origine de toute chose, n’est-ce pas ce qui se trouve aussi en nous-mêmes ? Alors c’est du domaine de l’esprit, alors on retrouve la conscience. La conscience qui cherche la libération, qui veut dépasser l’enfermement de la matière et donc qui veut, qui doit comprendre cette même matière, se retrouve face à la Conscience. Face à Dieu …